Architecturales – Dyptiques
Installation réalisée pour une exposition collective intitulée Architecturales (Ancien marché de l’arsenal, La Rochelle, 2013). Des images issues de plusieurs séries sont rapprochées sous forme de diptyques : d’une part, des photographies en couleur se référant à des lieux bien précis, recherchés et explorés lentement, d’autre part, des photographies noir et blanc d’une seule ville (Xining), observée de loin sans cet esprit de découverte.
Toutes ces photographies ont été faites en Chine, de la Mandchourie au nord-est jusqu’aux zones tibétaines de l’ouest.
Shenyang, 2010, est issue d’une série intitulé Travels through concrete, un voyage au contact du réel, une traversée lente et sans discrimination de zones urbaines ou industrielles peu attractives (concrete = réel/béton), évitées des visiteurs mais néanmoins lieux de vie d’une large part de la population mondiale. Lors de la traversée à pied de la ville de Shenyang (Mandchourie), à la limite où la ville lutte pour son expansion, une habitation résiste, coincée entre l’avancée des immeubles résidentiels, des fragments de champs de maïs condamnés, et un immense chantier. Si la maison date de l’ère Mao – et donc de la collectivisation – comme en témoignent les inscriptions « Longue vie au grand timonier Mao » et « Longue vie au Parti Communiste » qui encadrent la porte d’entrée, le propriétaire a écrit, sur toute la longueur de la maison, en signe de protestation contre une inexorable expulsion : « La propriété privée bénéficie de la protection de la loi, défense absolue d’entrer à toute personne quelque soit son unité de travail ». Cette reconnaissance de la propriété privée, récente en Chine, est contournée par les promoteurs et les autorités locales qui ne souhaitent qu’indemniser au minimum les déplacés.
Lhassa, 2011, et Sertar, 2011, sont extraites de la série Tibet(s) / Chine, une observation d’un quotidien tibétain éclipsé tant de l’actualité que de notre imaginaire.
Lhassa, ville mythique, interdite et sacrée par excellence, s’étend encore horizontalement plus que verticalement, mais les derniers quartiers construits en périphérie se heurtent déjà aux limites naturelles de la vallée du Tsangpo.
Sertar, sur les contreforts du plateau tibétain (province du Sichuan), est un lieu d’enseignement du bouddhisme tibétain qui regroupe plusieurs milliers de moines et de nonnes dans une vallée. En pleine expansion depuis quelques années, les petites maisons de bois colonisent le moindre espace des versants dans une forme qui n’est pas sans rappeler l’urbanisme organique des favelas d’Amérique du Sud. Cette expansion organique rentre en conflit avec le politique qui, à plusieurs reprises, orchestre destructions, déplacements et réagencements forcés.
Xining, 2011 – 3 vues. Sur les franges nord-est du plateau tibétain, c’est une des dernières capitales de provinces chinoises a être développée à grande vitesse. Stimulée par l’exploitation minière dans le Qinghai et la nouvelle voie de chemin de fer sur le plateau, la ville est devenue une forêt de tours qui ne cesse de se densifier. Prises du Temple de la Montagne du Nord, lui présent depuis plusieurs siècles, les images noir et blanc évoquent l’archétype de la ville déshumanisée, hérissée d’immeubles démesurés qui sortent de terre comme les petits blocs d’un jeu de construction.
Ces vis-à-vis ne cherchent pas tant à critiquer les formes que prend la ville aujourd’hui, qu’à observer les variations de son expansion et les réactions provoquées. Fortement déterminée par l’idéologie qui préside à son évolution (religion, développement économique, capitalisme, communisme, etc.) ainsi qu’à la présence ou non d’éléments de volonté, de contrôle ou de résistance, la structure de la ville est aussi influencée par la topographie du lieu. Celle-ci introduit une notion de rythme des constructions, ainsi que les éventuelles contraintes physiques qui s’opposent à son expansion, et définit le lien (ou son absence) entre les habitants de l’espace urbain et leur environnement.
Tandis que la couleur permet de donner un contexte aux scènes présentées, l’usage du noir et blanc sur une ville anonyme et photographiée à distance permet de la dé-localiser géographiquement et de la retirer du présent pour s’en servir comme d’un paradigme inquiétant : c’est la peur du « tout urbain », la rupture définitive et sans retour du lien initial de l’homme avec la nature, passant par la conquête et la ‘gestion’ totale de son environnement. Avec la présence récurrente de la montagne, un obstacle qui n’en est plus un, la question posée au final dans ces diptyques est celle des limites que l’homme peut ou peut ne pas se fixer lors de l’expansion de la société urbanisée moderne sur un environnement précédemment naturel ou agricole.